Pour comprendre l’alévisme

 

 

Introduction pour comprendre l’alévisme

1- Relation entre la Religion et la Culture

2- A-t-on besoin de Dieu

3- Histoire des religions

4- Les racines de l’alévisme

Introduction pour comprendre l’alévisme

Aujourd’hui en Turquie mais aussi dans le diaspora turc de la Suisse ou de UE, certaines veulent profiter des débats identitaires et disent que les Alévis ne sont pas des musulmans ou l’alévisme est une culture et non une croyance religieuse. Ainsi ils veulent “instrumentaliser” l’alévisme pour leur politique ou leur lutte ethnique. Ils disent que «… les alévis qui ne respectent pas les 5 piliers de l’islam, ne sont par conséquent, pas musulmans. L’alévisme est un syncrétisme de croyances animistes et philosophiques rencontrées par les Turcs depuis leurs venue d’Asie Centrale, et infusé de chiisme par la propagande safavide». Ceci est pour le moins tendancieuse et peu scientifique. Seul l’ignorance et manque de curiosité en sont la cause de ces dérives.

Si c’était vrai, les califs et les autorités religieuses sunnites de tous les empires musulmans depuis 14 siécles, auraient, depuis longtemps, excommunier tous les partisants de Ali (Chi’a-i Ali ou alawi) de l’Islam. Or des dizaines de tentative de ces autorités politico-religieux ont échoué. Le plus célébre exemple étant en 923, le principal cadi (le juge religieu) de l’empire abbasside à Bagdad, Ibn Behlül, refusa de dénoncer les rebelles alawi, les karmathes, comme non-croyants, puisqu’ils commençaient leurs lettres par des invocations à Dieu et au Prophète.

L’inexistence de conciles ou d’une autorité pontificale en Islam pour définir le dogme n’aide pas à situer un courant dans l’éventail de la pensée musulmane. Ceci dit, la division historique fondamentale entre, ceux qu’on appelle communément, Sunnites, Chiites et Kharijites donne naissance à plusieurs écoles théologiques à l’intérieur de chacune de ces familles, écoles qui se sont à leur tour divisés en de multiples confréries. Et tous ceci traversés par des courants soufi.

Notre culte a une structure basé sur la déclaration de l’Unicité de Allah et sur l’histoire de l’Ascension du Prophète où on prie au nom de Hakk- Muhammed- Ali (Dieu-Muhammad-Ali). Comment peut-on faire prier pour l’Unicité de Allah, parler de son Ascension, de déclamer Hakk-Muhammet-Ali est notre Voie et dire qu’on n’est pas musulman. Soyons sérieux.

L’Alévisme n’est pas une culture ou un mode de vie folklorique non plus. Il est une vision de l’Islam vieux de 14 siècles. Nous, les Alévis, nous avons une compréhension ésotérique des 5 piliers de l’Islam: nous ne prions pas 5 fois par jour parce que nous sommes avec Dieu à chaque instant de la vie et nous prions à chacun de ces instant; la charité est omniprésente dans tous les actes de notre vie quotidien; nous jeûnons au Ramadan mais aussi au mois de Muharrem à la mort de Hüseyin et en février le jeûne de Hizir; notre Kaâba n’est pas à la Mecque mais tous simplement c’est l’Homme qui est notre Kaâba et nous le rendons hommage à chaque rencontre. Cette vision mystique de l’Islam nous amène à une autre façon de comprendre et vivre l’Islam. On ne peut réduire l’Islam au seul vision de sunnisme wahhabite ou salafite.

En plus il s’agit ici d’une syncrétisme; la capacité de la culture turque d’intégrer dans sa croyance religieuse Gök Tengri diverses éléments de divers religions asiatique puis de s’approprier une certaines vision de l’Islam, de l’intégré dans sa culture tous en gardant son identité turque. Même de nos jour, sunnite ou alévi, nous avons gardé dans nos cultes plusieurs traits de nos anciens pratiques cultuelles: le culte des ancêtres, faire le tour d’un «türbé» (monument tombale), attacher des morceaux de tissus à un arbre sacré, allumer des bougies pour un saint homme, etc… Ces traits turcs sont proscrit par le Diyanet (Les Affaires Religieuses sunnite). C’est très important de le savoir dans le débat religieux.

Si vous consacrez un peu de votre temps à comprendre l’alévisme il sera judicieux de commencer à élargir vos connaissances de la relation entre la culture et la religion, de l’Islam, de ces divisions théologique, de la culture turque et de l’histoire des Alévis de l’Asie central à Anatolie et l’islamisation des peuples de la Turquie.

 1- Relation entre la Religion et la Culture

 2- A-t-on besoin de Dieu

3- Histoire des religions

4- Les racines de l’alévisme

Les Turcs qui vivaient dans une région allant du Mont Altaï jusqu’à la Mer Caspienne ont résisté du 7e au 10e siècles aux assauts des Omeyyades et des Abbassides sunnites qui voulaient les islamiser. Ils avaient leur religion, «Gök Tengri». Mais finalement, ils ont adopté, ou plutôt intégré à leur croyance religieuse chamaniste, un certain islam. Non pas l’islam sunnite rigide du pouvoir abbasside, totalement étranger à leur culture, mais une variante de l’islam de l’opposition, plus proche de leur philosophie, en faveur chez certains partisans d’Ali (des «alawi»)- persécuté comme eux – et chez les soufis tel que Husayn ibn Mansûr al-Hallaj – torturé et exécuté comme eux.

L’islam alévi est né en Asie centrale mais a pris sa forme finale en Anatolie, avec les influences des anciennes religions anatoliennes.

Vers les années 800, le 8e des 12 imams de Ahl-i Bayt (la famille du Prophète), Imam Riza, est arrivé au Khorasan (l’actuel Turkménistan et le nord-est de l’Iran) en raison des persécutions que lui faisait subir les dignitaires sunnites. Quelque temps après, il a commencé à former des disciples et à les envoyer parmi les populations turcophones du Khorasan et du Turkestan et les Turcs se sont convertis peu à peu. Vers les années 941-942 le voyageur arabe Abu Dulaf, qui se trouvait en Asie centrale, parle pour la première fois des Turcs alévis (alawi en arabe) mais qu’ils «refusent» le Coran. Plus tard on verra dans les textes «Kutadgu Bilik» (Connaissance Sacrée) de 1069 les Turcs Kara Han se désignant comme «alawi». Au 12e siècle Ahmet Yesevî, le grand soufi turc, donnera sa forme initial à la cérémonie religieuse de cem (djém) sa forme turque avec la musique et le semah (danse rituelle): le yésévisme.

Au 13e siècle Haji Bektach Veli, dont la généalogie mythique remonte aussi au cinquième imam, fond l’ordre des bektachis une variante d’alévisme yésévite. Il est une voie de l’islam Bâtinî (ésotérique) soufies. Il se distingue par son non-dogmatisme des dogmes religieux tels le sunnisme et le chiisme dit jafarisme et ismaélien. Bien qu’il soit de tradition très ancienne, certains voient en l’alévisme l’exemple d’ « une tradition musulmane moderne ». Haji Bektach Veli, saint homme et mystique philosophe de l’alévisme, joua un rôle primordial dans l’islamisation de l’Anatolie et des Balkans.

Ainsi les Turcs entreront peu à peu entre le 10e et 13e siècle dans diverses confréries “alawi” issues des courants soufis ismaélien et malamati de Khorasan du 9e siècle, très libérales et ésotériques (rejet de la charia et des obligation cultuelles, refus du pèlerinage par exemple, égalité entre homme et femmes dans une société du socialisme primitif où ils prient côte à côte, refus du texte de Coran mais pas de son «esprit», et en plus tous les cérémonies et prières en turc, etc.).

Le 11e siècle voit les Turcs Seldjoukides remplacer les Abbassides dans le monde musulman et la classe dirigeante seldjoukide se convertir au sunnisme de Khorasan pour satisfaire des ambitions politiques (être le Sultan de tous les musulmans en remplacement des Arabes) comme le feront les Ottomans quelques siècles plus tard. Mais la population turque des empires Seldjoukide et Ottoman, surtout les semi-nomades Turkmènes, restera longtemps majoritairement alévite.

Il faut aussi souligner que les alévis sont loin de constituer un tout homogène. Les diverses confréries telles que les Vefaî, les Kalenderî, les Yesevî les Hurufî, les Hayderî, ou les Bektachi, les influences ismaéliennes et chiites séfévides ainsi que les traditions propres à chaque tribu turque ont apporté de nombreuses variantes mais aussi une grande richesse à l’alévité. Tolérés à Istanbul (où le noyau central de l’armé ottomane, le corps des Janissaires, a été un foyer très important pour les Bektachis jusqu’au 19e siècle), ils ont été persécutés, menacés et soumis à un forte pression d’assimilation en Anatolie où ils ont même subi des massacres suite à des révoltes. Ils ont vécu dans une relative clandestinité, isolés les uns des autres. La tradition étant essentiellement orale, les communautés ont vu leurs rituels évoluer différemment à travers les siècles. La fin de la vie nomade, l’exode rural et la vie urbaine commune avec une majorité sunnite actuelle ont aussi amené leurs lots de changements.

En résumé on peut dire que l’alévité est un système de croyance syncrétique, un enseignement philosophique, religieux et politique ayant ses propres lois et rites et trouve son origine dans trois sources:

a-En Asie et plus précisément en Asie centrale dans les anciennes croyances turques au Dieu Ciel (Gök Tengri), utilisant le chamanisme et influencées par le bouddhisme, le mazdéisme, le manichéisme et le zoroastrisme;

b-Dans les religions monothéistes et plus précisément dans l’interprétation hétérodoxe (par rapport l’orthodoxie sunnite) et ésotérique (Bâtinî) de l’islam;

c-En Anatolie dans les diverses croyances des civilisations anatoliennes.

Donc pour essayer de définir l’alévité, il est nécessaire d’avoir simultanément une approche historique et théologique: Qui étaient les Turcs Oghouz (l’essentielle des Turcs d’Anatolie)? Quelles étaient leurs cultures et leurs croyances religieuses, leurs ordres sociaux et politiques qui sont à la naissance l’alévité? Comment ont-ils rencontrés l’islam et évolués depuis le milieu du septième siècle, dans divers environnements politico-religieux musulman sunnite et chiite? Comment, en Anatolie, les traditions et les pratiques religieuses populaires des alévis ont évoluées sous les pressions des autorités sunnites seldjoukides et ottomanes?