Parce que les alévis ne vont pas à la mosquée et ne font pas le jeûne du ramadan, parce que les femmes alévies ne se voilent pas et qu’elles assistent aux assemblées, assises à côté des hommes, parce que les alévis ne respectent pas l’interdiction de boire de l’alcool, parce qu’ils n’étaient pas des sujets soumis, faciles à manier, ils ont été réprimés, massacrés, marginalisés malgré leur importance numérique et tenus à l’écart du pouvoir par les autorités sunnites, Seldjoukides et Ottomans. Ils se sont rebellés moult fois, mettant parfois en péril ces deux grands empires. Ils ont été l’objet de harcèlement visant à les convertir au sunnisme ou à les assimiler. Ils ont été amenés à introduire des éléments sunnites dans l’alévité pour mieux se cacher, éviter ces harcèlements et survivre. Ils ont été la cible de rumeurs dégradantes d’orgies et d’incestes à cause du secret autour des «cem», des bougies qu’on éteignait à l’approche des étrangers au village pendant ces cérémonies religieuses et de la liberté des femmes alévies. Mais ils ont survécu.
Dès le premier jour de la guerre d’indépendance turque en 1919, les alévis se sont rangés derrière le mouvement d’Atatürk. Ils ont apporté une contribution indéniable à la fondation de la République turque, laïque et démocratique. Mais la République n’a pas répondu à leurs attentes. Le département des “Affaires religieuses” ( le Diyanet), qui dépend du premier ministre, ignore totalement les alévis de toutes leurs activités. Les «Cemevi», les Maisons de Prière,ne sont pas acceptées comme un lieu de culte.
L’ostracisme à l’égard des alévis a continué de provoquer, ces dernières décennies, des violences souvent meurtrières. Les événements de Corum et de Kahraman Maras en 1978 ont causé des centaines de morts. Le 3 juillet 1993 toujours à Sivas, pendant un congrès consacré à la commémoration du grand poète Pir Sultan Abdal, une foule de fanatiques sunnites a mis le feu à l’hôtel où résidaient les participants. Trente-sept d’entre eux, majoritairement alévis, ont péri.
Décriés et persécutés pendant des siècles à cause de leurs croyances qui diffèrent de l’Islam sunnite officiel, les Alévis-Bektachis forment, aujourd’hui, un rempart contre toute forme d’extrémisme, de fanatisme et d’intégrisme religieux. Ils oeuvrent pour le développement de la démocratie, la sauvegarde de la laïcité et le respect des droits de l’homme en Turquie.
En résumé, on peut dire que, l’alévité est une voie Soufi (mystique) négligée voir ignorée de l’Islam, humaniste et égalitaire, qui a survécu jusqu’à aujourd’hui et mérite d’être redécouverte par sa modernité et pour son message de fraternité.